Ce matin j'ai écrit:
I) Tagsdorf: Le prétexte de la plume
Je suis parti de Saint Louis le samedi 3 décembre au matin. Relativement tard cela dit. Il devait bien être déjà 11h lorsque je suis parti. Pour ma défense, j'ai eu toutes les peines du monde à réunir mes affaires. Je ne suis vraiment pas mobile. J'ai même la certitude de reconnaître un symptôme de ma sédentarité au nombre exorbitant de livres que j'ai ramené avec moi. Je ne sais pas où je vais, je ne sais pas non plus pourquoi je fais ça. J'ai envie peut-être envie « d'explorer le territoire » ? de « confronter les cartes à la réalité du terrain » ? Pourtant cela ne me décrit pas très bien. Je ne suis même pas géographe ! Alors peut-être envie de voir l'étendue de l'industrialisation. De voir s'il existe encore des campagnes et une nature.
Comme je ne savais pas ce que je cherchais, j'ai commencé par m'étonner de ce qui m'étonnait et par traîner. J'avais l'impression d'être un bourgeois désœuvré dans un village de villageois laborieux. J'ai assez mal vécu ce moment. J'avais l'impression que tout le monde voyait que je n'en menais pas large dans cette aventure. Je ne sais pas si c'était vrai cela dit...
Peu avant midi j'ai essayé d'écrire:
À 11h31 je me suis arrêté dans un village appelé Tagsdorf, sur la route d'Altkirch. J'ai grandement perturbé la petite vie de basse cour qui se faisait là, avec son roi farouche, à la crête plus rouge qu'une pourpre impériale.
Cependant passé la première surprise de me voir baisser la vitre pour les filmer, les braves galinacés m'offrirent la plus superbe indifférence et retournèrent à leur picorage maigre dans leur boue sordide.
Un tracteur rentrant plusieurs stères de bois dans le même temps, je pris le parti de plier le camp, ne voulant essuyer ni questions, ni les politesses d'usage, ni même un regard de mépris devant une action aussi oisive et futile que la mienne.
Donc pour ma défense, j'ai trouvé beaucoup d'oisiveté chez ces poules aussi.
J'ai sans doute cru que j'allais me trouver une vocation de poète immobilier dans ce village. On peut se poser la question:
Tagsbach est un assez beau village d'alsace, Tout en colombages et en tuiles à motifs géométriques. Cette résistance apparente au temps est niée par le bruyant trafic ce l'artère principale du village. Tagsbach est un village perdu, dans lequel le trafic ne s'arrête pas.
J'ai continué à regarder les maisons jusqu'à Wittersdorf. là j'y a surpris une maison dévorée par le lierre. Je n'osais imaginer quelqu'un y vivre. Puis j'ai lu "à vendre" sur son flanc, en lettre blanches sur fond bleu. Comme si c'était le nom d'une rue. Comme si c'était le nom d'un arrêt de métro parisien.
"Terminus. Tout le monde descend du rêve alsacien. On va liquider la maison à colombages du papi."
Il faut préciser que moi-même je n'aurais aucune envie d'habiter ici. Soit dit donc, en passant...
II) La révélation d'Altkirch
Je ne l'ai compris que bien plus tard, ce que je venais faire ici, au volant de la voiture. Je l'ai compris sur la départementale 419 qui mène à Altkirch. On pouvait trouver des mots simples. Un acronyme même. J'étais là, poussé par un BIL: un Besoin Irrépressible de Liberté.
Je sais qu'on a tous besoin de liberté, mais je pense que j'ai tout particulièrement des circonstances aggravantes dans ce genre de cas. En effet, je suis un bon petit fonctionnaire tout ce qu'il y a de plus réglo. Je fais mon travail avec sérieux et motivation, j'essaie de ne pas trop traîner. Et puis j'ai une vraie propension à répéter les choses. À faire dans la routine. C'est ma colonne vertébrale au quotidien. Sinon j'oublie tout et ça devient rapidement très compliqué.
Il était déjà plus de 14h. Non seulement je n'avais encore rien fait de ma journée, mais en plus je n'avais rien écrit. Et non seulement je n'avais rien écrit, mais en plus je n'avais pas mangé. Bref, il semblait que le sentiment de liberté tardât bien à venir.
Pour fêter l'absence de liberté, j'ai décidé de m'arrêter dans un Leclerc. La liberté apparemment n'exigeait pas de consommer mieux, ni autrement...
Après, j'ai tout à fait arrêté de pendre ni photos, ni notes. Je m'étais souvenu d'une phrase de Bob Mayer dans "Écrire un roman et se faire publier" (oui parce que je lis des choses comme ça. J'ai des rêves et ils tournent autour de l'écriture. Cela dit j'en suis loin...). Ce cher Bob disait en voyant une jeune étudiante à lunettes lui demander "quel est, s'il vous plaît monsieur, le grand secret ultime des dieux pour pouvoir écrire un roman?" (sans doute à grand renfort de grimaces pathétiques à vocation persuasive): "vivez".
Il avait dû lui jeter un rapide coup d'œil en la dévisageant des pieds à la tête et se dire que pour l'instant elle n'avait rien à raconter. Comme j'ai le sentiment de n'avoir encore rien vécu moi-même et de ne pas avoir la moindre légitimité à prendre la plume, je me suis dit que j'avais aussi intérêt à prendre pour moi ce petit conseil de Bob Mayer.
III) Le PNR et Masevaux
Les choses ont commencé à décoller pour moi en arrivant à Masevaux.
Je voyais des montagnes (enfin!) et la nature sauvage. Et là problème (mais je ne m'en rendais pas encore très bien compte): il était déjà tard.
J'ai fait le projet un peu fou: celui de randonner jusqu'à un château en ruine. Je voulais aller au nord de Rougemont le château. Il m'aurait fallu deux heures en plus...
J'ai commencé à marcher avec ma carte au 1:25000e sur des sentiers vraiment idylliques. J'ai adoré ce moment. Je dois dire que sans conteste ça a été le meilleur moment de la journée.
Seul regret: ne pas avoir de perche à selfie pour pouvoir prendre toutes le photos que je voulais...
Ici la forêt avait des airs franchement plus inhospitaliers. J'ai eu très peu envie de devoir repasser par là après 17h, la nuit. Je n'arrêtais pas de me répéter cette fameuse formule que tout le monde cite dès que l'on parle du soir en hiver: "la nuit tombe vite en cette saison"... Que la nuit tombe plus ou moins tard, c'est un fait établi... mais qu'elle tombe à des vitesses différentes? était-ce seulement possible?
J'espérais ne pas me faire surprendre. Je ne me sentais pas randonneur expérimenté en ce mois de décembre...
Je trouvais vraiment des airs de forêt de contes à ces longs arbres longilignes. Le sol me semblait presque mauve. J'avais la vague impression de me trouver dans une illustration à la Tomy Ungerer...
IV) Un châlet contre le château
Déception rapide donc. J'ai bien vu que je n'allais pas pouvoir faire l'aller retour en moins d'une heure.
Au retour du moins, jolie surprise. Un joli châlet de rando dans la forêt du Stoeckenwald.
Aujourd'hui c'était une escapade que je voulais vivre. Comme le besoin de redémarrer un ordi. Comme ce qui figure en haut à gauche de tout clavier de PC, dans un coin, comme pour que le travailleur lambda l'oublie: une touche "Échap". L'échappatoire d'une escapade.
Sur le retour j'ai tenté une dernière fois avant la nuit d'embrasser les Vosges du regard. J'aime tellement ce massif.
Finalement cette escapade m'aura donné l'impression d'une convergence et d'une fuite par delà les barrières. Une photo prise aujourd'hui symbolise bien cela. On y voit du macadam puis une rigole en point de fuite, qui court vers l'horizon. Deux barrières à droite et à gauche tenteraient bien de l'arrêter, mais elles n'y arrivent pas. La rigole rigole et l'horizon passe en garde à vue.
J'oubliais une autre récompense: celle d'un poème d'un certain Jean le Mauve, que je trouve vraiment très bien écrit, trouvé près de la maison de Stoeckenwald:
À mesure qu'il avançait
parmi les arbres élémentaires
il oubliait sa tête
et découvrait ses mains, ses bras
ses jambes
Peu d'hommes ici:
il apprenant le langage de l'air
et des bêtes.
Il en peuplait sa solitude.
Il déchiffrait ce que bien d'autres
croient être du silence
non par quelque sortilège
mais par l'éveil de tout ses sens
Il se fiait à certains ciels
à certaines touffes d'herbe
Qui se figent.
Il retrouvait le sens profond
de la chasse.
Et s'il traquait encore des ombres parfois
C'était folie acceptable.
Jean le Mauve
Merci d'avoir lu le "traquage de mes ombres" de Saint Louis à Masevaux.
Guillaume de Saint Louis