Le roman (comme toute la culture) se trouve de plus en plus dans les mains des médias ; ceux-ci étant agents de l'unification de l'histoire planétaire, amplifient et canalisent le processus de réduction ; ils distribuent dans le monde entier les mêmes simplifications et clichés susceptibles d'être acceptés par le plus grand nombre, par tous, par l'humanité entière. Et il importe peu que dans leurs différents organes, les différents intérêts politiques se manifestent. Derrière cette différence de surface règne un esprit commun. Il suffit de feuilleter les hebdomadaires politiques américains ou européens, ceux de la gauche comme ceux de la droite, du Time au Spiegel ; ils possèdent tous la même vision de la vie qui se reflète dans le même ordre et selon lequel leur sommaire est composé, dans les mêmes rubriques, les mêmes formes journalistiques, dans le même vocabulaire et le même style, dans les mêmes goûts artistiques et dans la même hiérarchie de ce qu'ils trouvent important et de ce qu'ils trouvent insignifiant. Cet esprit commun des mass media dissimulé derrière leur diversité politique, c'est l'esprit de notre temps. Cet esprit me semble contraire à celui du roman.
L'esprit du roman est l'esprit de complexité. Chaque roman dit au lecteur: "les choses sont plus compliquées que tu ne le penses." C'est la vérité éternelle du roman mais qui se fait de moins en moins entendre dans le vacarme des réponses simples et rapides qui précèdent la question et l'excluent.
Milan Kundera, L'art du Roman, (Partie 1)
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