mardi 26 octobre 2010

Nulla dies sine linea

"J'ai désinvesti mais je n'ai pas défroqué: J'écris toujours. Que faire d'autre?
Nulla dies sine linea
C'est mon habitude et puis c'est mon métier. Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée, à présent je connais notre impuissance. N'importe: je fais, je ferai des livres; il en faut, cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c'est un produit de l'homme: il s'y projette, s'y reconnaît; seul, ce miroir critique lui offre son image. Du reste, ce vieux bâtiment ruineux, mon imposture, c'est aussi mon caractère: on se défait d'une névrose, on ne guérit pas de soi."
Sartre in les mots

L'octobre gèle à pierre fendre


L'octobre gèle à pierre fendre
La matinée nouvelle s'étale doucement
Et la campagne pour se défendre
Dresse de griffus troncs enchevêtrant

Un brouillard malhabile élime ses tuniques
Roulant boulant dedans les sous-bois rustres
Et le soleil vainqueur dans sa posture antique
Renaît en ciel pâleur de plus de mille lustres

Et le brouillard tout aveuglé
Se précipite en blanc
Semblant figer sans le glacer
Un horizon fuyant

lundi 25 octobre 2010

La fin de l'ancien monde passera par tes yeux


Arrivant à la FAC par tes doigts dans les miens
Minaudant tes mitaines mignonnes en mutin
Me souvins-je une fois au revenir d'un rêve
Nous vîmes tout fermé pour des raisons de grève

Et nous deux enlacés me rappelait Chagall
En à contre-courant fuyant la longue débandade
D'anarchistes fous, d'allemands de carnaval
Qui chantaient en riant, loin de nos embrassades
Des refrains fêlés aux rimes camarades

Et le monde râlait dans son effondrement
Jusqu'à la passerelle où nous lisions Musset
Et le disque du jour au lointain rougeoyant
Allumait nos visages en les faisant dorer

Tu récitais Verlaine je lutinais tes yeux
Si doucement fumés d'azur gypse-anthracite
Que ta langue à la mienne et nos mains à nous deux
Achevèrent sur pied un final sans va-vite
Susurrant à nos corps des airs suramoureux

samedi 23 octobre 2010

Définition sartrienne du poète, marginal du langage

"Le poète est hors du langage, il voit les mots à l'envers, comme s'il n'appartenait pas à la condition humaine et que, venant vers les hommes, il rencontrât d'abord la parole comme une barrière. Au lieu de connaître d'abord les choses par leur nom, il semble qu'il ait d'abord un contact silencieux avec elles puis que, se retournant vers cette autre espèce de choses que sont pour lui les mots, les touchant, les tâtant, les palpant, il découvre en eux une petite luminosité propre et des affinités particulières avec la terre le ciel et l'eau et toute les choses créées."

Jean-Paul Sartre, Qu'est-ce que la littérature?

vendredi 22 octobre 2010

Le ciel désenchanté de Mme Dermond

C'est l'histoire d'une flaque d'eau sentimentale qui tombe amoureuse d'une Lune froide.
Cette Lune est froide, parce qu'elle broie du noir et sent son corps disparaître sous la pression de son néant. Cette Lune est triste parce que son amant l'aime en coup de vent, parce qu'elle veut vivre dans un monde où les sentiments n'ont plus leur place.

Morceau 1

Mme Dermond .- Je ne comprends pas un traître mot de ce que vous me susurrez, Lucien mon petit! Pourquoi faut-il toujours amener du sentiment dans une situation qui se suffisait tellement bien à elle-même?
Je n'ai pas peur de tomber amoureuse vous savez. C'est en fait une chose que j'exclus totalement.

Lucien Fondrière .- Vos lèvres me font en fait un peu peur quand elles parlent ainsi. Comment pouvez vous donc être si sûr de ne jamais aimer? Vous vous méprenez totalement sur la nature et la puissance de ce sentiment, sauf votre respect, doux quartier de miel.

Mme Dermond .- Ah! Ne me parlez donc point ainsi! Vous me faites rire et puis vous me dégoûtez un peu aussi! Je vous vois, là, étalé et languissant, tout humide de... sentiments! Allez donc parler à d'autres, plus naïves et ignorantes que moi!
Voyez-vous, en amour comme en toute autre chose sur la terre, tout est toujours question d'illusion. Un jour un petit homme a fait un joli rêve et l'a transposé dans le monde réel. Il a trouvé des émules qui ont adoré ses simagrées et les ont alimentées de textes, de réflexions et de poèmes. Tout le monde est tombé dans le panneau depuis des années. Tout le monde a cru à l'amour. Les gens se sont bousculés pour être les plus parfaits modèles de ce sentiment, bien après que son inventeur n'ai passé l'arme à gauche. Mais aujourd'hui, Dieu merci, le monde a fait des progrès. Le monde ne se divise plus qu'entre quelques éternels rêveurs plus ou moins rimeurs qui n'ont pas ouvert les yeux, et la majorité de ceux qui, bien conscients du facteur psycho-biologique qui attire les êtres entre eux, ne considère plus que la chose sans voile, c'est-à-dire la chair et ses plaisirs, dans sa plus nécessaire mais naturelle crudité. Les êtres comme vous demeurent en quelque sorte étendus à réfléchir des lumières empruntés qui les dépassent complètement. Je ne dis pas ça pour vous blesser mon petit!

Lucien Fondrière .- (troublé) Vous êtes ronde. Vous ne savez plus ce que vous dites.

Mme Dermond .- Non, non, mon petit Lucien. C'est vous qui ne savez plus quoi me dire. Vous, vous êtes un petit sentimental au fond, qui ne supporte pas que l'on puisse briser ses rêves. Vous êtes mignon quand vous ne parlez pas trop. Mais devant votre faconde actuelle, je ne peux m'empêcher de vous trouver lassant.

Lucien Fondrière .- Si vous acceptiez, ne serait-ce qu'on instant, d'aimer sans retenue ni doute de tout votre cœur si blanc, peut-être seriez-vous agréablement surprise.
(décontenancé, cherchant à se défendre) Vous vous croyez forte parce que vous avez érigé des barrières autour de vous-même et que vous vous êtes mise hors de porté. Mais qui sait réellement ce que vous marmonnez dans les ténèbres sans fonds de votre boudoir? Car oui, je sais bien comme vous êtes triste. Ne voudriez-vous donc pas vous détourner un instant votre course pour vous occuper de sujets plus gais?

Mme Dermond .- Entre la tristesse désillusionnée et la candeur joyeuse, il faut savoir choisir mon petit.

Mme Dermond se dissimule derrière un nuage, plongeant Lucien Fondrière dans les ténèbres de sa solitude.

samedi 16 octobre 2010

Strasbourg s'endormait




"La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s'endormait
Et j'en oublie le nom"





Jacques Brel




LA VILLE S'ENDORMAIT
1977

"Le vin de Moselle"





De retour en terre Lorraine chaque fin de semaine, je me remémore les joies de la campagne. 


"Puis on ira manger
Des moules et puis des frites
Des frites et puis des moules
Et du vin de Moselle"





Jacques Brel - Jef

Chariot de barquettes numéro 131010


Verlaine, Valéry et Kundera,
Assis à un café,
Buvaient du chocolat,
Dans leur tasse de thé.

On ne sait plus ce qu'ils se dirent.
On ne sait plus si c'était bien.
Mais soudain, en un soupir,
Tous s'aimèrent muscadins.

Et ma feuille, quant à elle,
Choisit pour Roméo,
Un tout petit Bretzel,
Vautré sur son recto.

Piteuse barquette

Il lui parla d'amour et passion,
Il décria toute froide raison.

Elle, rougit, riant du dinosaure
(Car l'amour en ces temps semblait sentiment mort).
On l'entendait par bribes, copiées, collées;
Partout, dans tout, et même à la télé.
Et cette infâme et lente dilution,
Lui donnait goût de décoction.

"Serait-ce donc l'amour? Eh! comment le savoir?"
Et en son cœur à lui, soufflait cruauté noire.

Elle fuit et se déroba, glissa vite vers la rue,
Son esprit et son cœur avaient déjà disparu,
Elle fuit, ne se retourna pas;
Transi, lui, demeurait là.

Barquette numéro TNS 300910


Je rentrais du vieux centre, humilié, sous la pluie,
Et, restant pour le moins digne, j'étais une digne soupe.

Le ciel nettoie tout, la pollution aussi,
Le crachat de leurs jantes, la fumée noir-étoupe.

Et jusqu'à leurs lumières, qui jamais ne s'arrêtent,
La pluie me les diffracte, posée sur mes lunettes.

Barquette numéro BNU 011010

J'étais l'ultime jour,
(Le premier jour d'octobre)
À la BNU d'Strasbourg,
Et les salles alentour,
Avaient des regards sobres.

Les livres... se fermaient sans un bruit,
Des étagères... prenaient la route,
Un silence de mort soulevait les esprits,
Et ce sanctuaire stable connaissait la déroute.

Moi même en mon sein, je me remémorais,
Le souvenir radieux, de deux années vieilli,
Où je la découvrais, veille de tant d'attraits.

Et le doute sur mon front, s'assombrissait par plis:
Tant il est vrai, disais-je, que nous ne savons pas
Très bien ce qu'on y perd, et moins ce qu'on aura...

Le marchand de vers durs

« Vous pouvez vivre trois jours sans pain – sans poésie, jamais!
Et ceux qui disent le contraire se trompent: ils ne se connaissent pas. »
Baudelaire, Le Salon de 1846

- Et pour vous, ce sera?
- Quelques vers, mais de vos meilleurs plats!
- Vous tombez à vrai dire un peu mal,
  une fille sulfureuse a ravagé mon étal...
  Je vous mets donc un peu du reste,
  des vers longs, aux pieds lestes,
  des tournures bien naïves, un style un peu passé,
  des thèmes bien archaïques, et si vous m'en croyez...
- Emballez, emballez! Je verrai en rentrant!
  Je n'ai que trop soupé de vos airs larmoyants!

De la sorte mouché, j'ajoute cette étiquette,
Et préface de la sorte, ces vers en barquettes:

À consommer rapidement,
Sans juger trop sévèrement.