vendredi 31 août 2012
Poème extrait de Les planches courbes d'Yves Bonnefoy
IX
Elle chantait: "Je suis, je ne suis pas,
Je tiens la main d'une autre que je suis,
Je danse parmi mes ombres, l'une se tourne
Vers moi, elle est riante, elle est sans visage.
Je danse avec mes ombres sur le chemin,
Je ne trouve qu'en elles ma joie d'être,
Je sais pourtant qu'avant l'aube le fer
Déchirera l'étoffe de la danse.
Et je me tourne alors vers cette plus gauche,
Cette plus hésitante et comme étonnée
Qui se tient en retrait, dans la musique:
Vois, ce n'est que pour toi que je ris et danse."
in "la voix lointaine"
mardi 28 août 2012
Parce que « l’enfance est un couteau planté dans la gorge »,
le nœud d’Incendies, pièce
de Wajdi Mouawad jouée en 2003, commence par une simple histoire de famille.
Une histoire d’héritage.
Hermile Lebel est un notaire
sentimental, qui préfèrerait regarder le vol des oiseaux depuis la fenêtre de
son bureau plutôt qu'un centre d’achats. Face à lui,
deux jumeaux, Jeanne et Simon, venus entendre les dernières volontés de leur
mère, Nawal Marwan, qui ne leur parlait plus depuis cinq ans. Les deux enfants
apprennent tout à coup qu’ils ne sont pas seuls. Que quelque part leur frère
est en vie et qu’ils ont un père qui les attend. Que leur mère prostrée et
muette face à une vérité qu’elle n’osait pas leur dire, a fait de ce temps de
l’héritage le temps de la vérité sur leur naissance. Jeanne reçoit la mission
de remettre une enveloppe à ce frère dont elle n’a jamais entendu parler.
Simon, le combattant, le boxeur, une autre enveloppe à remettre à leur père.
Jeanne la première accepte
d’abandonner sa vie et de quitter l’univers rationnel des mathématiques pour
remettre son enveloppe. Simon refuse d’abord son rôle. Puis il part aussi. Et à
tous les deux la vérité leur brûlera la voix
Incendies, c’est
l’histoire des origines. C’est l’histoire d’une enquête, l’histoire d’une
tragédie.
Wajdi Mouawad, Incendies,
Leméac/Actes Sud – papiers, 2003
Incendies ne cède rien,
sur aucun plan. Elle ne fait ni de concessions sur le style, ni sur la poésie
des images. Elle ne fait ni le deuil de l’intrigue bien ficelée, ni le deuil du
poids des mots. Elle ne met pas l’engagement du poète sur le côté. Incendies
brûle sur tous les fronts : de l’écriture, du théâtre, du drame de
l’intime et même du pamphlet politique. C’est une fantastique œuvre de
totalité, qui se présente comme une pièce de théâtre alors qu’elle a tout du
recueil de poésie.
Extrait de la scène 9 : « Lire, écrire, compter,
parler »
[…]
NAZIRA. Apprends à lire,
apprends à écrire, apprends à compter, apprends à parler. Apprends. C’est la
seule chance de ne pas nous ressembler. Apprends. Promets-le moi.
NAWAL. Je te le promets.
NAZIRA. Ils m’enterreront
dans deux jours. Ils me mettront en terre, le visage tourné vers le ciel, sur
mon corps ils lanceront chacun un seau d’eau mais ils ne marqueront rien sur la
pierre car aucun d’eux ne sait écrire. Toi, Nawal, quand tu sauras, reviens et
rave mon nom sur la pierre. Grave mon nom car j’ai tenu mes promesses.
NAWAL. Je te le
promets !
NAZIRA. Je m’en vais, Nawal.
Pour moi, ça se termine, la lumière sera bientôt là, mais toi Nawal, toi… ça ne
fait que commencer… nous, notre famille, les femmes de notre famille, sommes
englués dans la colère depuis si longtemps : j’étais en colère contre ma
mère et ta mère est en colère contre moi tout comme tu es en colère contre ta
mère. Toi aussi tu laisseras à ta fille ta colère en héritage. Il faut casser
le fil. Alors apprends à lire, apprends à écrire, apprends à compter, apprends
à parler. Apprends. Puis va-t’en. Tu entendras ma voix qui te dira :
« Pars Nawal, pars ! Prends ta jeunesse et tout le bonheur possible
et quitte le village ». Tu es le sexe de la vallée, Nawal. Tu es sa
sensualité et son odeur. Prends-les avec toi, et arrache-toi d’ici comme on
s’arrache du ventre de sa mère. Apprends à lire, à écrire, à compter, à
parler : apprends à penser. Nawal. Apprends.
Nazira meurt.
On la lève du lit.
On la pose dans un trou.
Chacun lance sur son corps
un seau d’eau.
C’est la nuit.
Chacun se recueille.
Un téléphone portable se
met à sonner.
Extrait de la scène 23 « La vie est autour du
couteau »
[…]
SOLDAT 1. Au début ma main
tremblait. C’est comme dans tout. La première fois est hésitante. On ne sait
pas combien ça peut être fort un crâne. Alors on ne sait pas comment il faut
cogner. Le couteau, on ne sait pas où le planter. On ne sait pas. Le plus
difficile, ce n’est pas de planter le couteau, c’est de le retirer, parce que
tous les muscles se contractent et agrippent le couteau. Les muscles savent que
la vie est là. Autour du couteau. Alors on aiguise la lame et il n’y a plus de
problème. La lame sort comme elle rentre. La première fois c’est dur. Après
c’est plus facile, c’est comme dans tout.
[…]
Pour la petite histoire, cette
pièce a sans doute été jouée une paire de fois. Mais elle a surtout été
l’occasion d’une magnifique et vibrante lecture à deux voix avec Ruby et moi et
une bouteille de rosé, chacun dans des rôles différents, variants au gré des
pages, au parc de la citadelle de Strasbourg. Pour tous ceux qui n’ont pas pu
être là, tant pis pour vous, c’était hier soir, c’était une sorte de flashmob’
et c’était fugace. Mais peut-être partagerons-nous volontiers à nouveau cette
expérience avec ceux que ça intéresse le temps d’une autre soirée?
Incendies est une pièce à vivre.
Incendies est une pièce à vivre.
lundi 27 août 2012
Dans la série "Journée à thème": la St Louis
Il y a deux jours, c'était une autre journée à thème, celle de St Louis.
Objectivement c'était déjà la St Louis sur le calendrier, et puis j'ai découvert ça à la médiathèque André Malraux:
L'auteur, Régine Pernoud est une femme délicieuse, pleine d'esprit, à la plume parfois redoutable, féministe et médiéviste engagée, au curriculum vitae impressionnant et à la simplicité stylistique pourtant très touchante. Elle est notamment l'auteur d'un pamphlet assez connu Pour en finir avec le Moyen Âge (dans lequel elle conteste la plupart des idées reçues que l'on a en évoquant en parlant de "Moyen Âge").
Elle a également écrit sur Jeanne d'Arc et sur La Femme au temps des cathédrales. Deux livres que j'ai lus et que je vous recommande.
Et je vous recommande…
… un concentré de bonne humeur : Chantons sous la
pluie. L’archi-célèbre comédie musicale de Broadway fait partie des classiques auxquels
l’on fait allusion sans qu’on les connaisse. Pourtant, l’œuvre ne saurait se
réduire à sa chanson éponyme, même follement entraînante : en fait c’est
du miel, du caramel, du nougat, une de ces comédies bon enfant comme seuls les
ricains savent les faire. Car évidemment, on retrouve toutes les ficelles du
music-hall, du cinéma muet des numéros de clowns grotesques à mourir de rire et
des danses de claquettes. Mais la différence majeure réside dans un second
degré tout à fait moderne. De l’ironie, de l’autodérision ? Les Américains
nous ont rarement habitués à ça ! L'humour qui foisonne dans tous les
coins !
Autre chose, qui crève les yeux : The Artist, le
film primé aux oscars, s’en est très fortement inspiré, la chose est é-vi-dente
lorsqu’on le voit la première fois. Jean Dujardin pastiche admirablement le
héros du film. Chantons sous la pluie est un intertexte délicieux pour
ceux qui ont aimé The Artist.
Bref, Chantons sous la pluie, c’est l’essence même du
spectacle hollywoodien, mais sauf en mieux !
dimanche 26 août 2012
Remarque sur le rouge à lèvres
Je le dis aux hommes et aux femmes pour
qu'ils puissent dorénavant faire semblant de s'y laisser prendre: le
rouge à lèvres est une très belle provocation féminine.
Le rouge pare les lèvres d'une sorte
de pétale de fleur – fleur qui est dans l'évolution, la première
manifestation sexuée de la vie- et, comme la fleur, qui
déploie son sexe sur une tige, la femme amène son sexe au milieu du
visage.
Empâtement rouge sur la feuille du
visage, le souligné rouge est un signal et un aplat.
Un appel.
Quelque chose d'aussi primaire et troublant pour celui qui le voit que le concept de la féminité lui-même.
Les artistes et le sexe
Ce mois-ci, dans Beaux-Arts Magazine, une édition spéciale sur les artistes et le sexe, l'occasion de découvrir la part libidinale (évidemment plus qu'essentielle) de l'oeuvre d'art.
On y découvre une sympathique typologie, allant de la nudité exhibée et des fantasmes crevant la toile (ou la pellicule) au créations introverties et torturées, aux pulsions refoulée et symbolisées (et ce n'est certes pas S. Freud -par exemple- qui irait dénier l'intérêt de cette section du reportage).
Je suis personnellement charmé par la touche et la composition des tableaux de G. Courbet...
Gustave Courbet, La femme aux bas blancs (détail)
Gustave Courbet, Le Sommeil ou Paresse et Luxure
Et je suis sûr que je ne suis pas le seul à partager cet émoi purement artistique. Certains exemples sont beaucoup plus sublimés tels La Fiancée du vent, d'Oskar Kokoschka (1913). C'est mon coup de coeur artistique du dossier. Après le charme figuratif de Courbet, voilà la splendeur transcendante de l'amour d'un couple au milieu de sa nébuleuse expressionniste:
Je cite en passant Marcel Duchamp, Etant donné, surréaliste et par conséquent onirique à souhait. À lire avec un poème d'André Breton...
Lucien Clergue, Triade de la Genèse (qui est un hommage plus que sublime rendu à la féminité).
Et, sans transition ni chronologie, le sublime dévoilé, très dynamique et théâtral de Jean-Léon Gérôme, Phryné devant l'aéropage.
Le dossier propose ensuite une ouverture sur les arts plus jeunes comme la BD, et évoque notamment les oeuvres de Milo Manara (Le déclic, dont le premier tome paraît en 1983), dont je vous laisse chercher les planches sur Google pour ne pas être taxé de rédacteur de blog licencieux. Attention! son oeuvre s'adresse à un public averti!
Milo Manara - Le déclic, tome 1
Milo Manara - Le déclic, tome 1
On déplore cependant, exception faite de quelques notables artistes (surtout de Raphaël) une certaine pauvreté en ce qui concerne l'influence des passions chez les artistes homosexuels. Exceptés d'éternels déhanchés de Saint-Sébastien(s) ligotés et la mention de certains détails olé-olé malheureusement recouverts de la chapelle Sixtine à Rome, l'homosexualité est nettement bien représentée (pour des raisons touchant à l'histoire de l'art et non à une éventuelle sélection de la part des rédacteurs du magazine).
À découvrir donc de ses propres zn'oeils (car ma lecture est très, très sélective), par exemple à la Médiathèque André Malraux...
jeudi 23 août 2012
METRO D’IDÉES
Ce qui m’attriste, ce sont les rêves avortés
Les souvenirs insouciants d’un merveilleux passé
C’est l’habitude à jamais révolue de te manger des yeux
D’avoir une vie pour nous et un rêve pour deux
Ce qui m’attriste ce n’est pas ce que j’ai perdu
Ou bien ce que j’avais comme tes pieds nus
Ce qui m’attriste c’est ce que je n’ai fait qu’entrevoir
Un merveilleux demain qu’on ne peut plus avoir
La solitude me tue car elle me rappelle trop
Le temps où je t’attendais avec l’espoir si beau
De t’avoir pour moi bonheur partagé
Ce temps où tu disais si bien m’aimer
Le 23 août - Journée George Sand
Le 23 août 1834, Musset adresse une lettre d'adieu à George Sand:
Le 23 août 2012, dans un passage de Questions générales de littérature, Seuil, p. 27, notamment concernant les pseudonymes:
"Les angoisses cruelles, le luttes poignantes, les larmes amères ont fait place en moi à une compagne bien chère, la pâle et douce mélancolie. Ce matin, après une nuit tranquille, je l'ai trouvée au chevet de mon lit, avec un doux sourire sur les lèvres ; c'est l'amie qui part avec moi."
Le 23 août 2012, dans un passage de Questions générales de littérature, Seuil, p. 27, notamment concernant les pseudonymes:
"Enfin, l'utilisation d'un pseudonyme peut répondre - cas probablement le plus fréquent- à des motivation psychologiques qui renvoient notamment à la façon dont l'écrivain entend se situer par rapport à l'instance parentale. Comme l'écrit Jean-Luc Steinmetz par rapport à Petrus Borel:
Ecrire son nom, ça n'est pas le décrire, mais être sensible au trésor de signifiants qu'il contient [...], y détecter la place, l'estampille du père (et de cette mère qui ne s'y dit pas), à la fois lutter contre ce gène, cette gêne et géhenne et reconnaître qu'elle est là, comme l'homosexualité qui supplémente le mythe d'Oedipe.
[...] Aurore Dupin refusera, elle, et son patronyme et le nom marital qui devint le sien après son pariage avec le baron Casimir Dudevant : elle imagina, avec George Sand, un pseudonyme particulièrement significatif puisqu'il rappelait de façon provocante le nom de son amant, Jules Sandeau, et soulignait en même temps, avec l'orthographe inhabituelle de Georges, une volonté évidente de transgresser les désignations que la société donne des sexes.
Aujourd'hui est une journée à thème.
lundi 20 août 2012
Journal de Jules Renard (1887-1900)
Un jour j'avais écrit que nos premières impressions sont les seules ineffaçables. Le reste n'est qu'une répétition, un effet de l'habitude. Le lendemain, j'avais trouvé cette page rayée à coup d'ongles: Mme Daudet l'avait lue indiscrètement, et elle s'était fait ce petit raisonnement en l'apparence très simple: "Il a dit Je t'aime à d'autres femmes que moi. Je suis venue après elles. Quel est donc le degré de sincérité de ses paroles d'amour?".
Extrait du Journal de Jules Renard, daté du 25 février 1891.
Au début de l'amour, degré de sincérité presque nul. Mais il est tentant pour l'homme de croire que cette fois le bonheur lui tend les bras. Rien n'est plus facile que d'être la dupe de l'amour. Les vieux signes d'amour vieux sont peut-être sincères?
Le désespoir de trouver sans cesse pour sa femme la formulation sincère de ses sentiments, toujours renaissants. Mais si l'amour le demande, il fournit aussi bien des moyens.
Rien à dire de plus
J’ai remis mon cœur au portefeuille
Et ta photo dans un carton
Y’a rien à dire après l’amour
Y’a juste à se taire et se tirer
Y’a juste à se tirer recommencer
ailleurs
Quand même pour ma défense j’ai fait
comme si
comme si l’amour passait les lendemains
Y’a rien a dire quand l’amour meurt
Mais je reste triste de chasser
D’un revers de main
Tous ces baisers dans tous les plis
De mes cols de chemise
Toujours le silence porte la parole de la fin
Je ne l’entendais jamais quand je tenais tes mains
Les hommes aussi ont un cœur
Dites-le aux femmes qui les mangent
Je ne peux pas dire que ça me rend heureux
De savoir que tu sais
l’amour vit dans un château de cartes
Il peut mourir en un lapsus
Un laps de temps
Notre amour a duré le temps d’une allumette
Et c’était chouette
J’ai rien a dire de plus
lundi 6 août 2012
La glace...
... longtemps réduite à la plage
longtemps goûté dans les temps chauds
la glace est reine des tropiques.
C'est une erreur de mauvais goût!
La glace
est un loisir qui se mange froid
sur la toile cirée d'un vieux bar-tabac
de préférence par temps de pluie*
de préférence en vair de gris
avec plein de soucis
et des bruits de PMU.
(Croyez-m'en, c'est du vécu)
*Car à ce moment seul elle a vraiment le goût du souvenir.
longtemps goûté dans les temps chauds
la glace est reine des tropiques.
C'est une erreur de mauvais goût!
La glace
est un loisir qui se mange froid
sur la toile cirée d'un vieux bar-tabac
de préférence par temps de pluie*
de préférence en vair de gris
avec plein de soucis
et des bruits de PMU.
(Croyez-m'en, c'est du vécu)
*Car à ce moment seul elle a vraiment le goût du souvenir.
samedi 4 août 2012
Les mots à venir sont à jamais perdus
hier encore c'était l'aube et nous vivions à la surface
mes godasses se sont remises sur pieds
mais je n'ai pas dormi de la nuit
j'ai pleuré les larmes sur ton corps
debout dans un corpuscule comme plus à moi
et dans tes bras qui ne l'étaient pas plus
je regarde un peu ce monde à en mourir
par l'horizon vieilli qui me reste ami
dans son tempérament
faines d'herbes vertes godasses
tu parles
d'un monde bizarrement décédé
un vieux monde une rocaille de jardinet
mais je me tais car
l'amertume du paysage m'est aussi un dégoût
au fond du coeur
tu sais tout est catastrophe à présent
à présent c'est trop tard
mais tu sais j'aurai beaucoup aimé vivre au soleil contre toi
sentir le vent et l'azur dans tes cheveux
tes yeux de petits sablés
et comprendre enfin l'expression
l'aube au doigts de rose
dans le creux de ton cou
je t'ai perdue
peut-être par inadvertance
peut-être égarée
ou peut-être
peut-être t'es tu cambriolée toute seule
par une porte des champs
il ne me reste plus qu'un devoir
un temps de veille à celui qui lit
à défaut d'un baiser
pour ne jamais t'omettre
pour ne pas t'oublier dans le noir
pour ne pas t'oublier au charbon
au milieu des bruits sourds
des caves d'hommes souterrains
il me reste la plume
et du noir et blanc
mais ces mots à venir
te sont à jamais perdus
Un mémo pour ces vacances
Arrêter de croire que le bonheur et le repos se paient
Penser à ma pomme
et surtout à ne rien faire
Penser à ma pomme
et surtout à ne rien faire
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